
Jour après jour la faim nous taraude, chacun de nous, elle bat la mesure de notre corps en perpétuelle digestion. Mais de quoi se nourrit-on au juste ? De protéines et de vitamines ? Du plaisir partagé ? De l’histoire familiale dont se gorge le plat traditionnel ? La nourriture est une pulsation humaine, de rythmes et de formes variées, qui nous connecte aux autres ainsi qu’à nous-mêmes. C’est en Sicile que j’explore cette question vaste et si intime.

Qu’est-ce qui nous nourrit au fond ? Derrière cette question il y a une histoire personnelle, celle de mon propre rapport à la nourriture. Au fil des ans, j’ai réalisé à quel point ma gourmandise pouvait être à double tranchant, ballottée entre des moments d’extase partagés et de dérangeantes impressions d’égoïsme. Comme on apprend à lire ou à écrire, on apprend à se nourrir, à connaître son corps, à le brusquer ou à le choyer. Mon année d’étude en Italie et la découverte de la Sicile ont marqué une étape importante, j’ai la sensation d’y avoir trouvé les pistes d’un équilibre fragile entre peur du manque, satisfaction sensorielle et goût de la rencontre. Je me rends en Sicile régulièrement depuis 2011 et j’en reviens toujours avec cette même impression, une joie de vivre gustative, une gourmandise festive et conviviale.
« Se nourrir » répond à un besoin biologique, mais c’est également un processus qui signe notre profonde dépendance au monde. « Nous devenons ce que nous mangeons » : au-delà d’acides aminés, l’être humain se nourrit de ses relations avec les autres de son environnement. Tout comme nous survivons grâce aux bactéries de notre flore intestinale, nous nous développons dans le bouillon de culture qui nous entoure. Le métabolisme, l’ensemble des transformations nécessaires à notre organisme, s’applique à la sphère physiologique autant qu’à celle de l’immatériel : on mastique et on digère des histoires, des convictions, des rêves, des valeurs…
« Filmer la nourriture », c’est pour moi filmer le banal, l’ordinaire, des moments simples tels que la cuisine ou le repas, être attentif aux détails pour y déceler la profondeur de l’existence. Se nourrir implique un certain temps, une organisation collective et donc une pratique fortement ritualisée. Les personnages, leurs rythmes et leurs pratiques alimentaires, constituent une sorte de laboratoire afin d’interroger ce rapport au temps, qu’il soit dédié à soi-même, à l’autre, au monde. En contrepoint se dessine l’image d’une société contemporaine où l’homme peu à peu le temps des choses inutiles. Se nourrir pour subsister est une chose, mais apprendre à nourrir notre existence en est une autre. Le défi du film est d’immerger le spectateur dans un espace gourmand. « Donner faim » au cinéma est une question qui me travaille depuis plusieurs années. L’enjeu de ce film est de déclencher ce rapport tout à fait particulier qui engage un spectateur qui a l’estomac qui gargouille et l’eau à la bouche, et utiliser ce moteur pour l’amener à considérer la nourriture comme l’un des socles premiers de notre existence..